lundi 26 décembre 2011

Alain Pire. Anthropologie du rock psychédélique anglais

Alain Pire. Anthropologie du rock psychédélique anglais ****
(CAMION BLANC, 2011)
On publie tellement de livres sur le rock que l’on finit par saturer. Mais de temps en temps surgit une belle comète, et on se dit que tout n’est pas perdu.
Voici un excellent ouvrage sur la fin des années 60, une « anthropologie » du rock psyché anglais, qui est aussi une anthologie (comme si « anthropologie » était un mot-valise) : on y trouve les textes des principales chansons in extenso (pas la peine d’aller perdre son temps sur Internet), des analyses fines, détaillées, pertinentes, des commentaires judicieux. C’est le livre d’un musicien et pas seulement celui d’un mélomane ou d’un érudit passionné. Alain Pire (le leader de The Michel Drucker Experience) est un excellent guitariste, capable de reproduire à la perfection les solos d’Hendrix, de Barrett ou de Clapton.
En route pour les très riches heures du psychédélisme ! Pour se convaincre de la qualité de l’ouvrage, il suffit de lire ce qu’Alain Pire dit de Procol Harum. Tout y est : la mélodie, les paroles, l’enregistrement, l’arrangement… « A Whiter Shade of Pale » a un parfum de psychédélisme. Les cinq premiers accords du morceau ainsi que la mélodie associée, jouée par l’orgue, sont relativement similaires à une pièce de Bach nommée « Air for the G String ». D’autre part, la fin de la mélodie d’orgue est inspirée, selon Fisher lui-même, d’une autre pièce intitulée « Schübler » Chorale-prelude Wachet auf, ruft uns die Stimme ». Néanmoins, le reste est une pure invention de l’organiste dans le plus pur style baroque et il ne s’agit donc pas d’un plagiat (…) On peut y voir quelques indices lysergiques comme ces deux phrases :
The room was humming harder
As the ceiling flew away
La pièce se mit à bourdonner plus fort pendant que le toit s’envolait au loin. Les objets semblent avoir une vie propre, phénomène hallucinatoire typique. (…) Le son de l’orgue Hammond B3 est capté avec une pureté et une rondeur sans pareille. »
Chapeau !
Une bonne analyse également de l’album Sgt. Pepper, dans une langue toujours claire, ou une approche d’ « Astronomy Domine » qui ravira les admirateurs du premier Pink Floyd : « Il commence par la voix de Peter Jenner lisant dans un mégaphone des extraits de Observer Book of Planets, livre dans lequel Syd cherchait l’inspiration pour écrire les paroles de la chanson. La voix de Jenner, mixée au seuil de l’audibilité, contribue à donner un cachet de mystère à la chanson d’ouverture. S’ensuit une note de basse répétée, suivie par l’orgue de Rick Wright qui imite l’émission d’un signal morse et arrive ensuite la batterie de Nick Mason avec un son percutant et extrêmement compressé, suivie par la Telecaster de Barrett dont le son clair et ample donne toute la profondeur au morceau. »
On vous recommande aussi l’analyse de « Days of Pearly Spencer », mais il faudrait tout recopier… C’est très attachant, impressionnant, on en redemande ! Même si l’on ne partage pas toutes les analyses (la folie de S. Barrett mise sur le compte de l’abus de drogues, alors que la pression peut sembler primordiale).
On relève une petite erreur concernant une chanson de l’Incredible String Band, « Koeeaddi There » : « Au niveau des paroles, on a visiblement affaire à de l’écriture automatique. Peu de sens se dégage, mais plutôt des images oniriques teintées de comptines. » Là, il semble qu’Alain Pire soit allé un peu vite en besogne. Sur « Koeeoaddi There », Robin Williamson nous fait entrer dans la confidence, égrène ses souvenirs d’enfance où la réalité se mêle aux fantasmes, aux visions nocturnes : « Né dans une maison aux portes trop bien fermées / Des doigts obscurs sur les rideaux la nuit venue / La tête couverte de neige du cerisier en fleurs / Une grand route passagère où je n’avais pas le droit d’aller / Je m’asseyais sur le mur du jardin, disais bonjour aux gens qui passaient et qui me semblaient si grands / Ohé au facteur à la barbe de trois jours, ohé au boulanger au sourire commercial / Mrs. Thomson m’avait donné un ours en peluche / Brigitte et d’autres personnes vivaient à l’étage au-dessus. » Ce sont donc avant tout des souvenirs et des impressions d’enfance. On est ici plus proche de l’univers de Ray Davies ou des Beatles de « Penny Lane » que de celui de Barrett…
Mais, ces réserves faites, voici un excellent ouvrage qui deviendra rapidement l’un des rares livres de référence sur la question avec le Revolution in the Head, d’Ian McDonald (1994, traduction 2010).
815 pages, 38 euros.
Jérôme Pintoux
Le 6.3.2011.

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