samedi 24 décembre 2011

Batcave Memories

Thierry F Le Boucanier. Batcave Memories **
(LE CAMION BLANC)
C’est un petit livre anecdotique que nous propose le Camion Blanc, sur les soirées branchées des premiers « vampires punks » dans les années 80, la première vague goth. Le narrateur, ce n’est ni un musicien ni un journaliste mais un DJ qui a organisé des fêtes où venaient des m’as-tu-vu un peu drogués, des poseurs : ils avaient l’impression de participer à des messes noires de la noblesse, à des fêtes de sorciers haute gamme ou de haut lignage alors qu’il s’agissait tout bonnement du dernier rendez-vous mondain trash. On pourrait traduire le titre ainsi : souvenirs d’une chauve-souris de cave. Le sous-titre, c’est « Vingt-cinq ans de soirées et de rencontres dans le milieu gothique parisien ». On en a trouvé la lecture sympathique mais ça reste très superficiel.
La vague batcace apparaît vers 1983. « Il s’agit d’une réinvention du style glam rock de Bowie avec un côté sombre, ténébreux, faisant allusion aux films d’horreur de la Hammer. »
En 1986, Thierry le Boucanier a une tignasse de Méduse gothique, mais les photos sont mal reproduites (on dirait des clichés de fanzines). L’auteur évoque ses rencontres avec les Virgin Prunes, leurs concerts extraordinaires, entre Grand Guignol, théâtre de la cruauté. « Commedia dell Arte sanglante et cauchemardesque » nous dit l’auteur, ce qui nous semble très juste. C’est une belle musique, mais bien sauvage. Nulle régularité, nulle bienséance, nul art. De la bassesse avec de la grandeur. De la bouffonnerie avec du terrible.
Dans un premier chapitre, Thierry Le Boucanier tente de faire la genèse du mouvement goth mais les analyses de Philippe Robert dans son ouvrage sur le Post-Punk, la No Wave, les musiques indus (ou indues…) et la Noise nous ont semblé plus pertinentes.
Dommage qu’il ne parle ni d’Adam Ant, pirate aristocratique, ni  de Visage. Sur la pochette d’un album, une photo d’Helmut Newton, conception de  Peter Saville. Steve Strange accoutré en officier de marine nazi, l’air anxieux comme une actrice du muet. Il est assis tout au bout d’une chaise, prenant la pose. A mi-chemin entre Marlene Dietrich et un pantin de bois. « The Damned Don’t Cry » ressemble étrangement à « Fade to Grey ». C’est un morceau infiniment nostalgique. Sur la pochette, outre les noms des musiciens, figurent le nom du coiffeur du chanteur et celui de son couturier… Les nouveaux romantiques anglais, c’est déjà la vague fuligineuse, les prémisses du gothique et de l’électro, non ?
Imaginez des Doors qui auraient joué sur des machines… Siouxsie Sioux était  leur égérie, avec ses drôles d’initiales...
Les passages concernant Stiv Bators et les Lords of the New Church m’ont semblé décevants. Thierry n’a pas su rendre présente la personnalité du chanteur. Pourtant ce livre est dédié à la mémoire de Stiv Bators.
Quant aux Virgin Prunes (Dark Wave), ce groupe pouvait sembler malsain, hyper trash. En fait, il n’en était rien. C’était du Grand Guignol, pas de la magie. Ils brandissaient des têtes de veaux, fraîchement décapités. Cela faisait songer au théâtre de la cruauté, aux rêveries d’Antonin Artaud : il y avait un humour sous-jacent, une sorte de second degré. « Ulakanakulot », « Decline and Fall » peuvent paraître encore étonnants, avec ces chœurs mortuaires, cet accent irlandais à couper au couteau, cet anglais dialectal : « Take your dream and fly away ».
Virgin Prunes, c’est une étoile noire qui a brillé quand la vague est devenue froide. La Cold Wave (appellation strictement française, nous rappelle le Boucanier) c’est un peu de la New Wave sulfureuse. Il y a chez eux un côté tribal à la Adam and the Ants. Mais les pirates sont devenus sorciers. « Walls of Jericho » fait allusion à un épisode de la Bible, les murailles qui s’écroulent au son des trompettes. Avec toujours cette grosse basse hypnotique, à la Simon Gallup.
Gavin Friday, le chanteur, on aurait dit qu’il avait été brûlé sur un bûcher en compagnie de bêtes d'étables Des vents moyenâgeux et désolés avaient balayé longtemps la place déserte. C’était pour avoir dévoilé de quelle couleur étaient les dessous  de la Reine que Friday avait été brûlé un vendredi.
Quant à Guggi, c’était un type très pâle, fragile, tiens, comme un Ziggy devenu fantôme.

Mais loin des nuits parisiennes, on faisait des choses pas mal en province aussi. Dans ces années-là nous avions monté la scène des sorcières de Macbeth, avec un instrumental des Virgin Prunes en fond sonore : de la musique hypnotique, des bandes magnétiques passées à l’envers : l’effet que ça avait fait sur les spectateurs, tétanisés, cloués sur place…

Bref, un bon petit livre anecdotique, assez bien rédigé parfois, mais pas transcendant.

Rien de nouveau sous le soleil, mais rien de nouveau non plus dans les ténèbres…


Jérôme Pintoux
Le 12.3.2011

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