dimanche 11 mars 2012

hommage aux Kinks



Hommage à Ray Davies



All Day And All Of The Time

C’est le groupe le plus délicieusement anglais qui soit. « Have a cup of tea… ». A leurs débuts, les Kinks ont chanté, comme tout le monde, des chansons d'amour : "Girl, I want to be with you all of the time, all day and all of the night". Ils ont fait appel à des musiciens de studio. C’est Jimmy Page qui fait le solo sur « You Really Got Me ». C’est encore lui qui joue le gimmick de « All Day And All Of The Night ».

Tired Of Waiting For You

Puis il y eut la pauvre âme solitaire : "I was a lonely soul", les affres de l'attente. "It’s your life, and you can do what you want, do what you like, but please don’t keep me waiting", "C’est ta vie, tu peux (en) faire ce que tu veux. Fais à ta guise, mais en tout cas ne me fais pas attendre plus longtemps".

Hiérarchies sociales

On les a pris au début pour un groupe de Mods, ces minets qui circulaient en scooter, quand les rockers roulaient en moto. Ils avaient du punch, de l’ambition. Puis on remarqua que Ray Davies se moquait des jeunes gens soi-disant respectables, de ceux qui n’arrivent que grâce aux relations de leurs parents.

A Well Respected Man

Chanson satirique sur un jeune homme jouissant d’une bonne réputation. Pétula Clarke en a chanté une adaptation convenable : "Et sa mère joue au bridge avec des amis charmants. Elle connaît la femme d'un ministre et la voit assez souvent, car elle s'intéresse à la carrière de deux ou trois jeunes gens. C'est vraiment quelqu'un de bien, ce jeune homme, Il fera son chemin dans la Vie." Une petite chanson pop formatée, qui parlait du piston éhonté dont bénéficiaient ceux qui s'étaient "donné la peine de naître", voilà qui était nouveau en 1965.

Dead End Street

Puis il y eut d'autres chansons de Mods, mais traitées sur un mode ironique, « Dedicated Follower of Fashion », sur les victimes de la mode, et « Dandy ».

En revanche, « Dead End Street » évoquait des classes sociales nettement plus défavorisées. Ray Davies était à la fois le chantre des minets et des sous-prolos. Out of work and got no money… La chanson sur « l'Impasse » évoquait l'insalubrité des lieux où vivait le narrateur, les harcèlements du proprio exigeant qu'on lui règle les loyers impayés. Ce n'est pas une chanson de squatters. Le texte parle de la pauvreté qui marginalise les individus.  Il y a cette phrase terrible : "We are strictly second class". "Nous sommes de seconde classe et nous le resterons". La force de l’adverbe "strictly". Ray Davies sait écrire. L'après-midi n'est plus du tout ensoleillée...

Plus possible d'être paresseux, de profiter du "carpe diem" dans la campagne anglaise."Lazy for a sunny afternoon", c'est terminé.

« Two Sisters », avec son clavecin de petit maître, comme le « Green Circle » des Small Faces, parle encore des hiérarchies sociales. Ray Davies évoque deux sœurs, dont l'une est jalouse de l'autre. Elle l'envie car elle a fait un meilleur mariage, elle a des relations…

 Nostalgie

Dès les années 60, la nostalgie envahit irrémédiablement Ray Davies. A peine vingt-cinq ans et il chante déjà le passé révolu. " Where Have All The Good Times Gone ?", "Peux-tu me dire où   sont passés tous les bons moments ?". Le thème des "ubi sunt" sévit dans la poésie lyrique depuis la littérature latine. "Mais où sont les neiges d’antan" chantait déjà Villon dans sa « Ballade des Dames du temps jadis ». Bowie a osé reprendre cette chanson des Kinks sur « Pin Ups » en 1973…

Ray Davies chante les plaisirs simples de la vie de tous les jours : "I think about that small café That’s where we used to meet each day And then we used to sit a while, and drink our afternoon tea", "Je pense à ce petit troquet, c’était là qu’on se donnait rendez-vous, on s’y asseyait et on y prenait le thé l’après-midi" (Afternoon Tea).

Regret d'un âge d'or qui n'a certainement jamais existé : "There were times when there was absolute compassion in the air" (Animal), "C’était au temps où l’on pardonnait tout, c’était aux temps miséricordieux".

Village Green Preservation Society

C'est dans cette perspective qu'il faut aborder cet album. On doit sauvegarder les villages anglais, l'environnement, les plaisirs simples, fuir le stress. La qualité de la vie en dépend, mais ce n'est pas facile, car la vie à la campagne dégoûte beaucoup de gens : "She was sick and tired of country life", "La vie à la campagne la rendait malade" (« Big Black Smoke »). Le retour à la ferme, à la basse-cour de l’enfance, "où aboit la meute", ce n'est pas l'idéal (« Animal Farm »). "Ce monde est grand, sauvage, et à moitié déjanté" (« Animal Farm »).

Apeman

Le chanteur a le sens du relatif : il déclare qu’il est une sorte de King Kong. Par rapport au soleil, aux nuages, aux araignées et aux mouches, il n’est qu’un singe. Il se compare à plus haut que lui, plus léger, plus parfait. Il ne veut pas être victime d'une guerre atomique.

Rien à voir avec la suffisance ironique d’un Serge Lama dans l’adaptation française ("Dites-moi pourquoi je passe auprès des femmes pour superman").

L'Amérique

En tout cas, on sait ce qu'on ne veut pas. L’Amérique a tout d'une pieuvre, d'un calmar géant, "Americana is keen to trap you like you had giant tentacles that wrapped themselves around you" (“Americana”). Elle est en décadence : "Hey, gros et gras cowboy, avec ton grand Stetson, Hey, gros et gras cowboy, exhibant ton gros six coups, toi qui chantes des chansons country, tu crois que c’est comme ça qu’on a conquis l’Ouest ?" Ray Davies agressif : l’Amérique, il la trouve molle et grasse, gavée de hamburgers. La mafia y règne en maître absolu : "The Cosa Nostra are everywhere", "La Mafia, partout en Amérique".

La maladie mentale

Comment être bien dans sa peau dans un monde qui va si mal ? Davies s'efforce de parler d'un ton léger de la maladie mentale, mais il devient vite grinçant ! « Acute Schizophrenia Paranoia Blues », "Le Blues de la schizo aiguë à tendance parano". "Cela me fout tellement les boules de sortir de chez moi. Il y a des manifs dehors, je pense qu'ils vont déclencher la Troisième Guerre Mondiale. Je suis allé voir le réducteur de têtes du coin pour qu'il donne un nom à ma maladie. Il a dit que c'est un des cas les plus aigus de schizo qu'il ait vus. C'est vrai que le laitier est un espion, et l'épicier passe son temps à me fliquer. Quant à la voisine d'à côté, elle est affiliée au KGB… Et le type de la Sécurité Sociale veut tout savoir de ma vie privée. Oh, on ne guérit pas de ce trouble mental"…

Puis Ray Davies insiste sur l'atavisme : "Mon vieux père lui-même a perdu ses meilleurs amis. Apparemment lui aussi souffrait de schizophrénie aigue." Le poids de l’hérédité…

La fin de la chanson est encore plus inquiétante : "Ils surveillent ma maison, et je suis sur écoutes

Je ne fais confiance à personne, et mon percepteur m’a dans le colimateur. Oh, on ne guérit pas d'une schizo aiguë"...

Psy-jivaro

Ray Davies, pour désigner les psy utilise une périphrase dévalorisante "le réducteur de têtes du coin". Ces spécialistes sont incapables de guérir les gens : ils ne peuvent que cataloguer leur maladie, la nommer.

Ironie et autodérision.

All Of My Friends Were There.

Davies évoque la dépression nerveuse, à la même époque que les Stones (« Nineteen Nervous Breakdown », « Mother’s Little Helper ») : "C’était l’apogée de ma grande carrière, mais je me sentais si bas, et j’avais bu tant de bières, et mon manager me déconseillait de monter sur scène (…) Tous mes amis étaient là, Mais je n’en avais rien à cirer"…

Les difficultés amoureuses

L'amour fait mal. Il y a des injonctions, des suppliques de délaissé. « Rosie, Won’t You Please Come Home », "Rosie, je t’en prie, reviens chez nous". Dans « See My Friend », le chanteur a été abandonné par sa petite amie. Il chante sa déréliction, avec la langueur qui convient à ce genre de situation. Les couples battent de l'aile, on se réfugie dans la boisson, "le stress du bureau et ses engagements politiques à gauche, et l’ambition extrême de son épouse égocentrique" (Alcohol).

Lola

Le narrateur boit du champagne dans une boîte de Soho avec un travesti, dans Lola.

L'argent

Sur le même album que « Lola », il y a l'excellent « Moneygoround ». Jeu de mots sur "merry-go-round", le manège enfantin. Calembour sur l’argent qui passe de main en main, comme si c’était un jeu puéril. Il s'agit d'une fausse comptine, que l’on pourrait transposer ainsi, sur le modèle du "Furet du bois joli" : "Il court, il court le pognon, le pognon du bois, mes dames". Fausse "nursery rimes", mais vrai récit d’une escroquerie, d’une arnaque, où l’on dénonce une femme d’affaires,  promoteur de tournées véreuses : "She took half the money that was earned in some far distant land". "Elle nous prit la moitié de l’argent que nous avions gagné dans quelque lointain pays"… L’imprécision des lieux est humoristique et distanciée. C'est de l'histoire ancienne, mais on en souffre encore : "I can’t believe that I’m so green", "Je ne peux croire que j’aie été si c…"…

Le snobisme

Add It Up. "La première fois que je t’ai vue, tu attendais le bus modestement. Maintenant tu fais le tour du quartier dans des limousines de louage, et tu t’exprimes comme les gens de la haute". Chanson sur le snobisme, l'un des thèmes de prédilection de Ray Davies. On pense au décalage que dénonce Dylan dans « Like A Rolling Stone ». Le refrain constitue une sorte d’énumération ironique de marques de luxe, dont les noms sont répétés comme s’il s’agissait d’incantations : "Ah, Gucci, Gucci, Gucci Cartier, Cartier". Litanies modernes…

Oddy, oldy and kinky ? Non, réaliste. La vieille rivière sale coule toujours au pied de Waterloo Station. « Dirty old river » semble répondre au « Dirty Old Town » des Pogues.

Le Château de Dracula

Au sommet d'une colline il y avait un château et je soupçonnais un vampire d'y vivre. Je me retrouvais à l'intérieur du donjon. Dans les pièces, partout, de la camelote : des meubles du XIXème siècle faux style paysan, des cadres en fer doré. Je m'écrie tout seul :"C'est du toc !" et je pense : "Le proprio ne peut être un vampire. Les vampires ont des goûts beaucoup trop luxueux; ce doit être le manoir d'un forain." Surgit alors un tout petit vieux monsieur l'air fané, très soigné, chemise pâle comme les Kinks sur la pochette de « Dandy ». Il me demande ce que je fais là, d'une voix insignifiante, pas du tout agressive. Je m'excuse et je repars.

La taverne

Je descendais dans une taverne, où toutes les gloires du show-business étaient venues jadis : Toulouse-Lautrec, La Goulue, Ray Davies, Maurice Chevalier. On me servit dans une vaste salle sombre où je devais être le seul client, une bonne omelette aux fines herbes, aux pommes de terre bien rissolées, avec des champignons. Le service était impeccable. Au mur, des signatures de vedettes d'autrefois, comme autant de tags : celles de Patrick Bruel, Charles Trénet, Georges Brassens et même Van Gogh ("Je me suis bien régalé", signé : Vincent). Mais il y avait aussi des messages insolents : "Charles le Téméraire, pauvre c…!". L'écriture m'était familière. Je l'identifiais comme étant celle de John Dee, le célèbre occultiste élisabéthain, qui avait fait partie des Bluesbreakers à l'époque où Clapton y sévissait encore, et que Mayall avait méchamment évincé parce qu'il lui faisait de l'ombre.

Le Secret de Ray Davies

Ray avait laissé dans une lettre manuscrite le secret de sa longévité : cela consistait à manger du pâté d'oiseau, mais d'un oiseau spécial, de l'étourneau aux raisins de Corinthe macérés dans du Cointreau. Il fallait d'abord plumer la bête à la lune montante, puis la vider de ses intestins et de ses boyaux, briser le cou, casser le bec, la plumer, ôter la peau, faire cuire à feu doux ou du moins pas trop brutal, faire revenir avec du madère, ajouter sel, poivre et fleurs de lune. "Mais où trouverais-je des fleurs de lune ?" lui demandais-je. "Eh bien, dans la lune" me dit-il avec son fin sourire étrange et ses petites dents minuscules.

Dead End Street

Ce manoir m’avait toujours inquiété. Je savais qu’il était peut-être hanté. En tout cas, ses murs étaient délabrés, lépreux. Il n’y avait plus d’eau dans les douves depuis longtemps. Une petite porte au fond des douves semblait la demeure du fantôme. Malgré le sol et boueux et les débris de verre, je m’approchai, forçai la serrure. C’était une cabane de jardinier, mais il y avait au mur des aquarelles exquises et des peintures de grands personnages à l’air ironique, chevauchant des sortes de chiens volants. Des malles pleines de vieux vêtements de sorcières, des colliers, des bijoux, du vieux beurre, de la farine, des bocaux de fruits exotiques, des conserves de champignons comme on n’en trouve que dans les contes, des poissons de greniers et du « foie de sirène », dont la date était périmée. Il y avait aussi des 45 tours des Kinks, introuvables depuis des lustres.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire