dimanche 21 octobre 2012

Interview fictive de François Bon, pour Rolling Stones, une biographie, en 2002.


Interview de François Bon, pour Rolling Stones, une biographie, en 2002.

François Bon, vous aimez bien les disques live ? Vous les préférez aux enregistrements studios ?

Oui, et mieux encore que les disques live, les bootlegs. On les réécoute sans lassitude, quand les versions officielles paraissent figées, et s'éloignent de nous un peu comme au musée de l'Air on s'étonne devant les Spoutnik ou Apollo de la même époque. Les disques pirates, où nul technicien n'est venu passer des heures sur chaque minute pour lisser, enfler, mixer, gommer, gardent comme en temps réel la sueur et les plantages, la fragilité de la tentative, les interjections et les jurons.

Keith Richards trouvait parfois l'inspiration dans un demi-sommeil ?

Oui, par exemple la séquence d'accords de Satisfaction. Keith était déjà assez mûr pour savoir ça, qui vaut pour le poète ou le romancier comme pour le musicien : ces choses prises à la nuit, on ne doit pas les laisser partir. C'est sur l'instant qu'il faut en capter la trace, sinon l'illusion qu'elles nous laisseront restera comme ça une lueur vague et sans matière.

Anita Pallenberg, la "fiancée" de Brian Jones, n'avait pas la langue dans sa poche ?

Non, pas vraiment… Elle n'était pas tendre avec ses copines, Anita Pallenberg : "Charlie Watts avait une espèce de femme sèche qu'il gardait dans l'arrière-cour, et Bill Wyman aussi, vous savez : des filles d'arrière-cour, avec des personnalités comme de la musique d'ascenseur."

Vous n'avez pas l'air d'aimer les disques des Stones de 1967 ?

C'est sûr que ce n'est pas ma période préférée… We Love You et Dandelion sortent en août 1967 en prélude à l'étrange et déliquescent album par lequel les Rolling Stones auraient pu simplement finir : Their Satanic Majesties Request. Une année vide…

Rien à garder ?

Si, 2000 Light Years From Home, la chanson qui reste de cette période trouble.

C'est l'année où ils se sont retrouvés en taule ? Et sans aucun traitement de faveur ?

Non. Aucun. Fouille au corps pour Keith Richards, dépôt des affaires personnelles, anthropométrie. La prison était en émoi, les gars l'appelaient mate, "collègue", en l'apostrophant de barreaux en barreaux : "Ça fait des années qu'on t'attendait ici, collègue… - T'inquiète, mon pote, j'y serai pas longtemps."

C'est aussi l'époque du mellotron ?

Un instrument qui ne survivra pas à cette année-là. C'est Brian Jones qui s'est approprié le monstrueux mellotron, et ce sera son chant du cygne.

Sur "Satanic", il y a un morceau de Bill Wyman?

Oui. Est-ce parce qu'on sent qu'il glisse vers le dehors et qu'on doit se serrer les coudes ? On condescend à enregistrer deux titres de Bill Wyman, dont In Another Land.

Sympathy For The Devil, ça viendrait de Boulgakov ?

Il y avait ce roman de Boulgakov qui venait d'être traduit, The Master and Margarita, dont l'incipit est justement ce Permit me to introduce myself qui deviendra chez les Stones le Please allow me to introduce myself, qu'en trente ans ils n'arriveront pas à user.

Se droguaient-ils encore en 1970 ?

L'héroïne circulait lourdement, mais au sein des Stones ne contaminait que Richards.

Ecrire sur le rock, contrairement à ce que l'on pense en général, cela demande beaucoup de rigueur ?

C'est le problème avec ce qu'on projette sur l'écriture de rock, de croire qu'il suffit d'adopter un débraillé de surface et d'afficher des valeurs mises en partage comme si elles disposaient en elles-mêmes des vertus de la surrection qu'on cherche à décrire. On n'a pas cessé d'assister à la mise sur le marché de livres qui, pour se prétendre aussi rock que la musique qu'ils décrivent, participeront au mieux d'une bonne veine populiste.

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