dimanche 30 décembre 2012

Le petit Niortais, l'été 68 et les rock stars

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Jérôme Pintoux. Niort-Londres en 68 : le choc des mondes. « Niort, pour moi, c'était la Sèvre. Je faisais de la barque avec des copains en amont du Jardin des Plantes. »
Jérôme Pintoux. Niort-Londres en 68 : le choc des mondes. « Niort, pour moi, c'était la Sèvre. Je faisais de la barque avec des copains en amont du Jardin des Plantes. »
Jérôme Pintoux publie un roman qui a pour cadre Niort et Londres à la fin des sixties. Un récit qui doit beaucoup à son propre journal de bord d’adolescent.
De Gaulle et Cohn-Bendit déjeunent ensemble un jour de 68. De quoi parlent-ils ? Des 33 tours de Jimi Hendrix. Une scène que Jérôme Pintoux s'est offert le plaisir d'imaginer dans son dernier roman, « Vinyles Vintage ». L'histoire d'un petit Niortais qui du haut de ses 17 ans explore la folle atmosphère du « Swinging London » de la fin des sixties.
Ça pourrait commencer comme « A nous les petites Anglaises », mais la suite n'a rien à voir. « Quand j'avais 17 ans, mes parents m'ont envoyé en Grande-Bretagne. J'entrais en terminale et ils voulaient que j'acquière un certain niveau en anglais », raconte Jérôme Pintoux, dont le père dirigeait la droguerie du même nom, institution du commerce niortais aujourd'hui tenue par son frère.
Nous avons tous un été qui a été l'été de notre vie. Celui de Jérôme Pintoux a été l'été 68. Durant tout son voyage, il prend des notes. Un journal de bord ressorti intact des décennies plus tard. « Rien de sexuel là-dedans, mais c'était pire : c'était mon cœur mis à nu. »
Ce témoignage sur le vif, il l'épaissit avec le récit de faux rêves et des interviews de rock stars. Son personnage croise Jim Morisson, Frank Zappa ou Paul McCartney. Jérôme Pintoux s'est fait une spécialité de ces interviews imaginaires : la sortie l'an dernier d'une série consacrée aux classiques de la littérature, lui avait valu une invitation sur France-Culture. Lui qui écrit pour des revues rock comme Jukebox Magazine, sortira l'an prochain un dictionnaire sur Dylan.
" Rien de sexuel dans tout ça. Mais c'était pire : c'était mon cœur mis à nu. "
Niort-Londres en 68 : le choc des mondes. « Niort, pour moi, c'était la Sèvre. Je faisais de la barque avec des copains en amont du Jardin des Plantes. » Il remontait la Sèvre jusqu'à Sainte-Pezenne, jusqu'au château des Loups qu'avait failli racheter le comédien Jean Richard.
Un drapeau rouge sur le Donjon
Et 68 dans tout ça ? Un écho amorti et lointain. On boycotte au lycée la prof d'espagnol parce que sa tête ne nous revient pas. Seul acte subversif notable, un drapeau rouge planté au sommet du Donjon. « Des gens à Niort prétendaient être allés sur les barricades à Paris et on ne savait pas si c'était vrai ou s'ils étaient mythomanes. »
Alors quand il franchit le Channel, c'est l'explosion : « N'oublions pas qu'avoir 17 ans en 1968, c'est comme avoir 13 ans en 2012 : on restait enfant bien plus longtemps qu'aujourd'hui. »
Pas de passéisme, Jérôme Pintoux ne joue pas les anciens combattants du rock : « J'ai voulu faire un livre beaucoup plus drôle que nostalgique. Ce dont je me souviens, c'est d'une joie de vivre et d'un esprit qui deux ans après, avaient disparu. Le rock était devenu une routine. Mais il faut se méfier des âges d'or. »
nr.niort@nrco.fr
« Vinyles Vintage », édité aux Presses du Midi, 16 €. En vente à La Librairie des Halles.
Yves Revert

mercredi 12 décembre 2012

La Mort nous a ravi Shankar : all things must pass


Ravi Shankar. Raga Mala. Ma vie en musique (éditions intervalles) **

Ravi Shankar nous parle de son enfance à Bénarès, de son initiation au sitar. Mais le livre démarre vraiment quand le musicien évoque sa rencontre avec George Harrison, the quiet Beatle. Ravi Shankar était le guru de George, son maître spirituel et son ami. En d’autres temps, on aurait dit son mentor. Le mot « guru » signifie « chasseur d’obscurité ».

C’est la réédition d’un ouvrage paru en Angleterre en 1997, revu, mis à jour et traduit pour la première fois en français en 2010. Dans son avant-propos de 1997, George dit tout le bien qu’il pense de Shankar, tout ce qu’il lui doit, et le décrit comme un homme moderne : « Si je n’avais pas connu Ravi, je serais devenu un vieux grincheux ennuyeux. Dès le début de notre relation, j’ai apprécié le fait que Ravi, bien qu’étant un grand musicien classique, était très drôle. Il se tenait au courant de ce qui se passait dans le monde, il savait quels livres, films ou pièces de théâtre étaient à l’affiche. » Il insiste aussi sur leur complicité : « Je l’ai toujours considéré comme un guru, une figure paternelle, mais aussi et principalement comme un ami parce que, la plupart du temps, nous faisons les fous ensemble. »

Ravi est né à Bénarès dans une Inde en dehors du temps. A part les autos, tout y était vieux, les temples, les gradins descendant vers le fleuve sacré. Il est devenu musicien et s’est fixé de nobles objectifs : « Mon but a toujours été d’emmener le public très loin avec ma musique, à l’intérieur de lui-même, comme on le fait en méditation ». Il trace de George un portrait élogieux : « Je sentais que George avait une belle âme et je lui reconnus une qualité à laquelle j’attache énormément d’importance, l’humilité, et qui, dans notre culture, est considérée comme la qualité principale. » Harrison avait côtoyé bien des célébrités, des Premiers ministres, des membres de la famille royale, mais, avant Ravi, il n’avait jamais rencontré quelqu’un qui l’impressionnait réellement.

George se rendit en Inde. Il vouait un intérêt analogue à la musique indienne et aux yogis de l’Himalaya. Les yogis sont des personnes qui ont acquis, paraît-il, des pouvoirs spirituels extraordinaires par le yoga. George n’avait que vingt-deux ans, mais il est resté fidèle à ces disciplines jusqu’à la fin. Au départ, il a eu peur d’être rebuté par l’Inde, dérouté par les odeurs, la saleté, la pauvreté. Mais il avait la chance d’avoir Ravi comme ami, ce qui changeait la donne.

Ravi devint une rock star dès 1967. Il ne comprenait pas la jeunesse occidentale, qui mélangeait tout, la fascination pour l’Inde mais aussi pour la drogue, « l’incitation à se droguer de la part de Timothy Leary, Allen Ginsberg et Alan Watts (les trois grands gurus de la drogue)… »  En juin 1967, Ravi joue au festival pop de Monterey, mais très peu de groupes trouvent grâce à ses yeux : il n’aime pas les voix de faussets. Bizarrement, ce qu’il apprécie, c’est Simon and Garfunkel (« Garfunkel avait une voix angélique »), the Mamas and the Papas, Donovan et Joan Baez (« En plus d’un physique saisissant et d’une belle personnalité, elle avait une voix veloutée charmante »). Shankar semble mal connaître le répertoire des Beatles : il ne cite que trois chansons (« Norwegian Wood » avec ce sitar utilisé d’une façon peu orthodoxe), dont deux signées Harrison (« Here Comes the Sun »), et encore l’une d’elles n’est pas une composition des Beatles mais un hit de George sur son triple album, « My Sweet Lord ». Ce qui scandalise Ravi Shankar, ce sont les prestations d’Hendrix et des Who qui bousillent leurs instruments de musique à la fin du show. « Hendrix versa de l’essence sur sa guitare et y mit le feu. C’était un acte sacrilège et j’étais si en colère que je faillis me lever et m’en aller. » Mais, depuis, de l’eau a coulé sous les ponts de Bénarès et d’ailleurs. All things must pass…