dimanche 15 novembre 2015

verso de la pochette du single d'XTC Senses Working Overtime (1982)


XTC. Mummer (1983)


Mummer (1983)

On retiendra essentiellement « Wonderland ». Les guitares ponctuent de leurs miaulements cette douce chanson de Moulding. Dommage que le chanteur force un peu trop sa voix. Harrison avait parfois ce problème. Sa voix n’était pas assez forte. C’est pourquoi George Martin l’avait mis en retrait. George en devint ombrageux.

« Wonderland » c'est un peu Lewis Carroll revu par des Beatles New Wave ? Ce serait trop caricatural d’énoncer les choses ainsi, même si des guitares style Harrison se font reconnaître au passage. Dans le clip promo, une jeune fille danse avec Moulding. Il y a un fondu enchaîné : la robe se transforme en tutu. La nouvelle Alice se retrouve en robe de petite fille avec des manches ballon. Elle danse dans les champs, puis dans un labyrinthe végétal (comme dans le Shining de Stanley Kubrick). Partridge, habillé en jardinier, peint des roses. Il en offre une à la nouvelle Alice. Elle trouve une quantité de lapins blancs, n’arrive plus à trouver l’issue du labyrinthe, se perd dans un dédale de haies. La nuit tombe. Une apparition monstrueuse : des armatures de mannequins chevalins, assez anxiogènes. Alice rencontre le bébé-cochon et le chat du Cheshire, avec son sourire étrange, ses yeux lumineux comme des phares. Puis on la voit prostrée au fond du labyrinthe. Elle tombe dans une piscine. Comme Ophélie, elle flotte au gré du courant. Des jardiniers, munis de cisailles, taillent dans la haie une statue végétale figurant la jeune fille. On la voit ensuite flottant dans la piscine, dont les eaux, un peu glauques, ressemblent à celles d’un marécage. « Float on a river for ever and ever, Emily » disait déjà Syd Barrett.

C’est une de ces chansons anglaises sur ces adolescentes qui ont du mal à trouver leurs marques. Une chanson sur le monde de l’enfance, les difficultés du passage à la vie adulte. Les paroles évoquent doucement ses inhibitions : « Un jour tu vaincras tes peurs, tes malédictions ». Et tu te retrouveras au pays des Merveilles. On y parle de blocage en voie de résolution. Le temps est un grand maître, dit-on… C’est la grande tradition des adolescentes mal dans leur peau. Le clip est peut-être trop référentiel pour être onirique...
 
Extrait d'OLD WAVE COLD WAVE de Jérôme Pintoux, au Camion blanc.

XTC. English Settlement (1982)


English Settlement (1982)

C’est l’album du repliement sur soi. Retour aux racines anglaises. Partridge renonce à la scène et se consacre à l’écriture. A trop tourner, on perd son âme. Les dessins préhistoriques de la pochette : le cheval de l’âge de pierre, effilé, stylisé et malingre, souple et nerveux comme un Giacometti. L’album s’inscrit dans le regain de celticité qui sévit en Angleterre en 1982. Souvenez-vous de la pochette d’Avalon, de Roxy Music, avec cette femme casquée tenant un petit faucon, ou du « Celtic sound » des Kevin Rowland Dexys Midnight Runners, musiciens des rues. Un revival éphémère.

Sur « Senses Working Overtime », l’identification de Partridge à Lennon (défunt) est assez frappante, jusqu’à la tenue vestimentaire. « Je peux voir, entendre, sentir, toucher et goûter, et j’ai un deux, trois, quatre, cinq sens qui font des heures supplémentaires, et les cloches de l’église tintent doucement ». Poésie rurale, calme, sensuelle, sereine, dominicale.

« Jason And The Argonauts »

Ce sont des rêveries sur la mythologie, la réactualisation d’un vieux mythe grec. Que seraient donc les Argonautes si Orphée n’était pas sur la nef Argo ? Un ramassis de pirates de la « Mer Noire » partis pour voler la Toison d’Or. « Oh, ma tête tourne, elle est pleine des bêtes que j’ai vues. Il me semble que plus je voyage, plus je trouve des poissons bizarres dans mes filets, comme Jason et les Argonautes en avaient pêché. Je suis allé dans un pays où les hommes obligent les femmes à cacher leur beauté. Mais ici, en occident, c’est exactement pareil. Elles se maquillent, ça leur sert de voile ». Des réflexions narquoises, à la Swift ou à la Lennon. « Et le vent des mensonges a soufflé et a gonflé mes voiles ». Les paroles collent à l’actualité. Les hommes-animaux, en anglais manimals, c’est un mot-valise à la H.G. Wells (L’île du Docteur Moreau). L’histoire de la femme écarlate est une référence à l’Apocalypse de Saint Jean. Dylan l’évoque aussi dans « Jokerman » sur Infidels.
 
EXTRAIT de mon livre sur les années 60, 70 et 80, OLD WAVE COLD WAVE.

vendredi 16 octobre 2015

Chanteurs et groupes français des années 80, par Jérôme Pintoux

Parution prévue vers le 16 novembre, éditions Camion blanc.
Sera en vente en librairie, chez certains disquaires qui ont un rayon librairie, en ligne aussi (amazon, gibert, fnac, cultura, etc.) et sur le site de l'éditeur. Comme le "Dylan" et "Old Wave".

mardi 8 septembre 2015

U2. The Unforgettable Fire


U2

The Unforgettable Fire

(1984)

The Unforgettable, c'est du rock héroïque de 1984 (vingt-huit ans déjà), après l'extraordinaire « New Year's Day » sur War (1983) : pas mal mais sans grand éclat, au son un peu trop familier, un peu trop connu, comme des drapeaux, des oriflammes ou des bannières, qui seraient restés trop longtemps au grenier. Oubliés dans un coin, ils auraient pris la poussière. On les aurait nettoyés scrupuleusement, minutieusement. On aurait tenté de rafraîchir leurs couleurs passées, mais ils se seraient surtout déployés au vent dans les années 80 : les tempêtes des années 2010 semblent les ignorer, ils restent souvent en berne ou se déploient avec raideur.

C’est pourtant un album cohérent, sans réel temps faible, sans facilité. On relève surtout trois temps forts : « Pride » (In The Name Of Love) écrit à la mémoire de Martin Luther King, très bien interprété, ainsi que « The Unforgettable Fire » (composée de plusieurs mouvements) et « Bad », produits par Brian Eno et Daniel Lanois.

Parfois on croirait entendre les Simple Minds : la voix de Bono se fait douce et rejoint celle de Jim Kerr. Plusieurs chansons parlent des Etats-Unis, d’Elvis, de l’été indien : on s’éloigne des terres irlandaises.

On note un formidable travail à la batterie que la remasterisation rend bien et accentue. Le batteur, le grand Larry Mullen Junior, aurait été digne de jouer chez Adam and the Ants, avec sa frappe martiale, son sens du rythme. Ce sont tous d’excellents musiciens mais le batteur est l’un des meilleurs de sa génération.

La guitare de the Edge fournit un contrepoint lyrique (et toujours élégant) à la voix du chanteur. La basse est omniprésente.

La pochette représente Moydrum, un de ces châteaux anglais soi-disant hantés, recouvert de lierre. Il n’en reste que quelques pans, qui s’écrouleront un jour. On voit cette ruine sous d’autres facettes sur le livret. Elle semble encore plus démantelée sur les autres clichés (Moydrum, dans la province de Limerick).

Avec War et The Joshua Tree, on pourrait parler de trilogie héroïque ou de trilogie épique, pour ce groupe irlandais qui connut un succès international, et qui perdure.

Extrait d'OLD WAVE COLD WAVE NEW WAVE de J. Pintoux, au Camion  blanc.

Depeche Mode. Speak And Spell.


Depeche Mode
 
Speak And Spell

La pochette de Speak and Spell (« Parle et maudis ») est bizarre. Speak and Spell peut également signifier « Parle et épèle », ce que pourrait dire un instituteur à un élève. Il s'agit donc d'un jeu de mots, d'un titre contextuel. Cette pochette représente un cygne empaillé sur un nid de branches mortes, le tout emballé dans du plastique. Le titre ferait référence à un jouet d'enfant, qui parlerait et lancerait des malédictions, comme dans un conte fantastique.
Il s'agit du premier album d'une toute jeune formation qui jouait d'instruments entièrement électroniques à une époque où le tout guitare était de rigueur. C'était déjà de la New Wave, mais en 1981, on les qualifiait de futuristes.
Ils venaient d'un bled du sud de l'Angleterre (Basildon) et de la classe ouvrière. Ils eurent du mal à s'imposer : on les prit moins au sérieux que leurs concurrents immédiats, Human League ou Heaven 17.
Ils devinrent si « énormes », dans les années 80, qu'ils concurrencèrent jusqu'à U2 sur la scène internationale.
La réédition de ce premier CD offre une qualité de son exceptionnelle. Toutes ces rééditions Deluxe sont confondantes de qualité. Il y a là quelques morceaux sublimes, insoupçonnés. A l'époque toutes les chansons étaient composées par Vincent Clarke, le clavier, qui devait quitter le groupe à l'issue de ce premier album, pour fonder Yazoo, avec la chanteuse Alyson Moyet, puis Erasure. Puis ce fut Martin Gore qui prit le relais.
Les deux derniers titres de l'album, tous deux sortis en single, sont d'une qualité exceptionnelle, « Can't Get Enough », et « Dreaming Of Me ». Dave Gahan s'impose au chant. Sa voix sonne juste. Les autres morceaux s'écoutent avec un certain intérêt.
Le DVD, qui accompagne cette réédition, présente les débuts du groupe sur la scène anglaise, leurs tâtonnements, avec interviews des principaux protagonistes. Ils ont commencé avec de petits claviers monophoniques. Ce n'étaient pas de bons guitaristes : ils ont décidé de jouer de la musique électronique.
Ils ont fait la première partie de Fad Gadget, ont failli signer chez Rough Trade, mais ont finalement été engagés par Mute Records. Au départ, ils avaient l'air d'étudiants bien sages. Leur premier album, à base de Moog Prodigy et de Yamaha a posé les jalons de ce qui allait suivre. Ils ont eu la chance de tomber sur le producteur Daniel Miller, un as du synthé, spécialisé dans les vieux modèles analogiques. Leur premier grand succès, ce fut « New Life » (onzième dans les charts). Le jeu de scène de Dave Gahan imitait étrangement celui de Jim Kerr, le leader des Simple Minds...
Extrait d'OLD WAVE COLD WAVE NEW WAVE de J. Pintoux, au Camion  blanc.

Simple Minds


Simple Minds

Pourquoi les Simple Minds, qui étaient si bons, si doués, sont-ils tombés en déréliction ?

Coquin de sort. Une de ces destinées artistiques dont la trajectoire nous échappe. On voit les artistes au faîte de leur gloire. Puis la mode change : on les oublie. Simple Minds n'échappe pas à la règle. On les connut post-Punk. Néoromantiques d'avant-garde. Ils devinrent ensuite un groupe de stade, vers 1988. Peut-être les seuls rivaux planétaires d'U2. Puis le succès les délaissa, ils replongèrent dans l'anonymat. La critique s'est ingéniée à les conspuer, depuis le succès de « Mandela Day », de leurs tournées internationales. Il y eut en outre plusieurs défections au sein du groupe, qui ne conserva que son noyau dur, le chanteur et le guitariste. Tous deux co-auteurs et excellents compositeurs.

« Promised You A Miracle »

Une blonde glacée, haute couture, hante ce clip. On la croirait échappée d'une pochette de Roxy Music. Le chanteur Jim Kerr se la joue Bryan Ferry, qui lui-même se la jouait Nouveau Brummel…

« Glittering Prize »

Une collection de masques mortuaires, hiératiques et dorés. Tels des masques de pharaon. Ou la pochette de Byrdmaniax, des Byrds, figée, un peu anxiogène. Jim Kerr, Toutankhamon mort-vivant, ouvre les yeux tout au fond de son sépulcre. La douceur de sa voix est telle que l'on fait chuchoter certains mots à la jeune femme glamour qui se promène dans ce mini film. Mais c'est bel et bien Jim Kerr qui les murmure.

« Speed Your Love To Me » (1984)

Des plongées sur Glasgow enneigé. La caméra balaye l’espace. Des images de docks et d’installations portuaires. Une ville écossaise en hiver. Une tristesse septentrionale. Simple Minds nous montre son territoire. Urbain, mais pas seulement. Des images de lochs. Un enthousiasme sans fébrilité. Le charisme de Jim Kerr. On voudrait avoir la pêche du chanteur. Il a l’air sage et jeune. « Speed Your Love To Me » multiplie les panoramiques sur le Loch Ness et le Glagow portuaire. L'Ecosse dans sa multi réalité. Les couleurs du Loch sont étincelantes. Quelques vues des Highlands, qui ressemblent au Massif Central. Hommage aux montagnes d'Ecosse.

« Waterfront »

La vidéo de « Waterfront » alterne les prestations scéniques et les vues portuaires de Glasgow.

« Up On The Catwalk »

« Tout en haut de la gouttière ». Encore le thème du masque, sous la forme du visage peint. Des portraits robots défilent à toute vitesse. Ce qui a mal vieilli, c'est la garde-robe de Jim Kerr…

« Don't You »

Le chanteur évolue dans une pièce encombrée de jouets. Train électrique, cheval à bascule. Salle de jeu, lambrissée à mi-hauteur, comme une pièce de château écossais, où évoluerait un fils de laird.

« Alive And Kicking »

Une vue aérienne des musiciens, allongés dans l'herbe. De belles images de cascades. C'est l'un des clips les plus romantiques qui soient. De superbes paysages (écossais ou alpestres ?) forestiers et montagnards. Une caméra subjective, en travelling arrière, qui se perd dans les bois. Le groupe, sur une esplanade rocheuse, à la Friedrich. Jim Kerr fait semblant de voler. Heureusement qu'il n'y a pas un chasseur dans le coin…

« She's A River »

On dirait du Doors Tamla-Motown.

« Belfast Child »

Croyance en l'avenir. Les enfants seront peut-être moins bêtes que leurs parents : ces stupides guerres de religion cesseront peut-être un jour. Les mouettes sillonnent les champs d'immondices. Une violoniste, nouvelle venue dans le groupe. Un groupe celtique.

Extrait d'OLD WAVE COLD WAVE NEW WAVE de J. Pintoux, au Camion  blanc.

samedi 29 août 2015

XTC. Les scaphandriers de Black Sea (1980)


Les scaphandriers de Black Sea (1980)

Dignes et altiers, dans leurs scaphandres encombrants, gorgés d’eau et d’un autre âge, que recherchent-ils au fond des mers ?  Ils ont l’air de traquer l’épave de la Nef Argo, à moins qu’il ne s’agisse de la fameuse Toison d’Or, également gorgée d’eau, vraisemblablement pourrie, suite à un trop long séjour au fond des eaux. La pochette est volontairement anachronique : on dirait des cosmonautes maritimes d’un autre siècle. C’est encore et toujours l’ombre du sous-marin jaune… L’influence de Vingt mille lieues sous les Mers, son adaptation par Terence Fisher (studios Disney, 1954) semble évidente. Un décalage temporel, mais aussi décalage spatial : cette « Mer Noire » c’est peut-être la Mer du Nord. Une mer fuligineuse, dont la couleur signale les dangers. Un décor trompe-l’œil et de vieux gréements.

« General and Majors », la meilleure chanson du disque, n’a pas eu le succès qu’elle aurait mérité. C’est un hymne effronté, irrévérencieux, antimilitariste et réjouissant. Des paroles à la Lennon. Le refrain dit : « Ils ont toujours l’air malheureux, sauf quand ils déclarent la guerre ». Les gradés en ont assez de rester dans l’ombre…. Dans le clip, digne de Magical Mystery Tour, on les voit faire du trampoline dans un château-fort gonflable, un jouet de plage ou de fête foraine.

« Rocket From A Bottle », de Partridge, se ferme sur l’accord d’ouverture de « A Hard Day’s Night » : toutes cordes à vide.
(...)
Extrait d'OLD WAVE COLD WAVE NEW WAVE DARK WAVE de J. Pintoux, au CAMION BLANC.

samedi 22 août 2015

Mylène Farmer. Monkey Me (2012)


L'ambiance y est moins gothique que par le passé. Pourtant les paroles semblent toujours aussi sinistres, angoissées : Mais où va le monde ? Mais où est ma tombe ? Mais que devient le monde ? Un tout qui s'effondre. Un rossignol lugubre. La mort individuelle se confond avec l'apocalypse généralisée (après elle, le Déluge ?), Inévitable naufrage, Je sais bien pourquoi la lune n'a plus le même éclat ("Tu ne le dis pas").

Sensuelle et sans illusion, c'est une Anna de Noailles new look. La poétesse de la Belle Epoque écrivait déjà : Mais vous, force des nuits, feu d'argent, tubéreuse, Reine des soirs puissants, cœur profond, chair heureuse, Dont le velours est fait de parfums condensés, Vous, par qui le poumon, soudain, s'enfle et se creuse. Ne dirait-on pas du Mylène Farmer, et jusque dans la scansion ? Rajoutez par-dessus la mélodie des "Regrets", vous verrez le résultat. Pierre Benoit disait de la comtesse femme-poéte : Rimes plates d'abord, puis quand les nerfs sont suffisamment ébranlés, un feu d'artifice déchirant de rimes embrassées. Je n'oublierai jamais la secousse nerveuse que me produisit, sous ce ciel embaumé d'Orient, l'énumération des fleurs aux parfums trop lourds, couronnés par l'évocation à leur belle reine, d'un sensualisme oppressé impossible à exprimer. Un texte quasi prémonitoire, évoquant, dirait-on, la belle Mylène, désenchantée.

Un album néo-disco, "madonnesque", si l'on nous permet ce néologisme, des morceaux qu'il faut écouter au casque pour en saisir les nuances, les saveurs, les subtilités. Si l'on se contentait de les entendre de loin, en bruit de fond, dans le premier hyper venu, on n'en verrait que les grandes lignes, les facilités : ils méritent une autre approche, plus attentive, plus concentrée.

mardi 18 août 2015

Interview de Robert Garnier, pour sa tragédie Hippolyte, en 1573.

Pardon, ce n'est pas très marrant, mais j'ai pensé que cela pourrait vous amuser, cette langue fin XVIème...



Interview de Robert Garnier, pour sa tragédie Hippolyte, en 1573.


Robert Garnier, dans le songe d’Hippolyte, vous évoquez l’arrivée de l’aurore ?


 


Les monts sourcilleux commencent à jaunir.


Hippolyte est content de revoir le soleil ?


 


Il  le salue, lui, son char, ses chevaux, & ses beaux rayons d'or.


Il vient de faire un rêve éprouvant ?


     


Il lui semblait dormant, qu’il errait solitaire
Au creux d'une forêt, son ébat ordinaire.


L’endroit était particulièrement sombre ?


 


Il y faisait obscur non pas du tout comme
En une pleine nuit, qu'accompagne le somme :
Mais comme il fait au soir, après que le soleil
A retiré de nous son visage vermeil.



Il avait ses chiens de chasse avec lui ?


 


Quatre de ses chiens y entrèrent d'aventure,
Quatre molossiens de guerrière nature.


 


Ils avaient senti la présence d’un gibier quelconque ?



Il se vient présenter un grand Lion affreux,
Le plus fort & massif, le plus épouvantable
Ses yeux étaient de feu, qui flambaient tout ainsi
Que deux larges tisons dans un air obscurci.
Sa gueule était horrible, & horribles ses dents
Qui comme gros piquets apparaissaient dedans.
     


Les chiens ont dû avoir peur ?


 


Et pas qu’un peu !


 


Bien que hardis, si tôt qu’ils l'avisèrent
Que saisis de frayeur, dehors ils s'élancèrent :
Accoururent vers lui, tremblant & pantelant,
Criant d'une voix faible.


 


Ils ont détalé vite fait ?


 


Comme un grand chef guerrier, qui voit ses gens en fuite,
A beau les exhorter, les prier, supplier
De retourner visage, & de se rallier :
A beau faire promesse, a beau donner menace,
C'est en vain ce qu'il fait : ils ont perdu l'audace,
Ils sont sourds & muets, & n'ont plus autre soin,
Que de hâter le pas & de s'enfuir bien loin.


 


Le fauve s’est jeté sur Hippolyte ?


 


Ses griffes fondaient dans son estomac nu,
L'écartelant sous lui comme un poulet menu
Qu'un Milan a ravi sous l'aile de sa mère,
Et le va déchirant de sa griffe meurtrière.


 


C’est à ce moment-là qu’il s’est réveillé ?



Vaincu de tourment il jette un cri si haut,
Qu’il en laisse son songe, & s'éveille en sursaut,
Si froid & si tremblant, si glacé par la face,
Par les bras, par le corps, qu’il n'était  que glace.
Il  fut longtemps ainsi dans son lit étendu,
Regardant çà & là comme un homme éperdu,
Que l'esprit, la mémoire, & le sens abandonne,
Qui ne sait ce qu'il est, ne connaît plus personne,
Immobile, insensible…


 


Puis il a fini par se raisonner ?


 


Il s’est dit : « Ce n'est qu'un vain semblant, qu'un fantôme, une image
Qui nous trompe en dormant, & non pas un présage »…



lundi 10 août 2015

Sad-Eyed Lady


Sad-Eyed Lady of the Lowlands

 

"The kings of Tyrus with their convict list
Are waiting in line for their geranium kiss,
And you wouldn't know it would happen like this,
But who among them really wants just to kiss you?
With your childhood flames on your midnight rug,
And your Spanish manners and your mother's drugs,
And your cowboy mouth and your curfew plugs,
Who among them do you think could resist you?"

 

L'un des morceaux-clés du disque et de l’œuvre. Onze minutes et dix-huit secondes ! C’est une valse très mystérieuse. Un véritable blason du corps féminin.

"L'histoire" en est elliptique. Il y est question d'une petite prostituée campagnarde, qui s'est fait gruger par les fermiers et les hommes d’affaires. La Dame aux Yeux Tristes est une personne doucement malheureuse... On dirait une statue de la Vierge, promenée au cours de processions votives.

Malgré son titre enchanteur et mélancolique, c’est aussi un "protest song" cryptée. Ce n'est pas seulement une belle ballade nostalgique. La loi de la jungle y règne. C’est un thème omniprésent chez l’auteur, même dans ses plus douces chansons.

Cette "Lady" est un personnage cyclothimique. Si son regard est triste elle peut aussi faire preuve d'un enthousiasme enfantin ("childhood flames"). Il y a un côté mélo : des draps froids comme du métal, une rue à putes, un mari volage, de couverture de la presse "people"…

Le conteur dresse un bilan négatif du passé de cette femme. Un beau paradoxe : "Ton visage de sainte et ton âme de fantôme"... Elle a connu bien des malheurs…On ne sait pas ce qui lui est arrivé au juste. "Dead angels", est-ce une image liée à la drogue ou à l'avortement ? Les fermiers et les hommes d'affaires l'ont-ils transformée en junkie ? Est-ce l'histoire d'une déchéance ou les mésaventures d'une fille qui n'a pas eu de chance ? On retient surtout sa parure, fascinante, ses vêtements de couvre-feu, ses fichus de bohémienne aux couleurs indécises.

Dylan tombe souvent amoureux des victimes. Il a l’air rude comme ça, le regard incisif et tranchant, mais son cœur est plein de compassion.
(...)

Extrait de mon Dictionnaire Dylan, au Camion blanc éd.

jeudi 6 août 2015

Dylan. Tarantula.


Tarantula

Le premier ouvrage de Dylan. Une erreur. Se contenter de le feuilleter. A sa décharge, Tarantula est une œuvre de commande, rien de plus. D'une façon imprudente, Dylan s'était engagé auprès d'un éditeur new yorkais à lui fournir un volume de poésie. Il dut l'écrire dans l'urgence pour honorer son contrat, mais le résultat fut catastrophique. C'est du sous-Dylan.

Tarantula tient à la fois de la satire sociale, du surréalisme tardif, de l'écriture automatique, sûrement du cut-up aussi, mais contrairement aux chansons de Bringing It All Back Home, Highway 61 ou Blonde on Blonde, la mayonnaise ne prend presque JAMAIS. Dylan à la traîne de Burroughs ou de Ginsberg, en épigone, on a un peu honte pour lui. Cette œuvrette, même pas drôle, a vraiment été composée à la va-vite. On dit que Dylan ne lui attache aucune importance. Ouvrage sans inspiration. Œuvre mineure. Bric-à-brac indigne, néanmoins constamment réédité... Traduit en français par Dashiell Hédayat (au fond de sa Chrysler rose ?).

L'un des seuls intérêts de l'ouvrage, ce sont quelques coq-à-l'âne, comme dans les Epîtres de Clément Marot.
 
 

 (extrait du dictionnaire Dylan de J. Pintoux, au camion blanc, 2013).

dimanche 2 août 2015

Dire Straits et Mark Knopfler. L'énigme de Napoleon in rags.


Dire Straits et Mark Knopfler

 

Dire Straits

 

Dire Straits, c'est le groupe de Mark Knopfler, guitariste et chanteur écossais, né à Glasgow en 1949. Il a grandi à Newcastle, qu'il évoquera brièvement dans  "Sailing To Philadelphia" et dans "Fare Thee Well Northumberland". Mais c'est aussi la formation de son frère David (jusqu'en 1980), du grand John Illsley à la basse, et de Pick Withers à la batterie (du moins, jusqu'en 1982).

Je n'ai présenté que quelques chansons, les plus emblématiques de ce groupe dit de "pub rock", mais on verra qu'il s'agit parfois de tout autre chose. Cet article n'a rien d'exhaustif. Je me suis contenté de piocher dans la riche discographie de Dire Straits puis dans la carrière solo de Mark Knopfler. J'ai voulu lui rendre hommage : il nous a tant apporté.

 

1978

 

Sur le premier album, sorti en juillet 1978, "Sultans Of Swing" évoque des musiciens de jazz qui jouent et se défoulent le vendredi soir. Ils se font exploiter toute la semaine, mais le vendredi, c'est leur jour de gloire. Ils peuvent jouer enfin la Musique qui leur plaît, se donner à fond. Ils ne cherchent ni la célébrité ni la gloire. Ils ont su rester modestes, ce sont des purs, d'authentiques musiciens. Il y a une bande de jeunes qui traînent dans le coin, ils portent des tenues plutôt glamour, des "platform soles" comme en avait Marc Bolan. Ils détestent les groupes à trompettes : "They don't give a damn about any trumpet playing band." Sur ce morceau inaugural, quasi génial, quasi mythique, d'une haute tenue, d'une grande portée, le jeu de Mark Knopfler est d'une telle dextérité qu'il en est bluffant, époustouflant. Et ce n'est jamais, jamais, jamais une virtuosité pénible, ni de mauvais aloi, comme celle dans laquelle se complaisaient parfois les Alvin Lee et consorts, ces solos interminables qui duraient des plombes et de plombes, qui n'en finissaient pas, et qui ont gâché tant de festivals, lassé tant d'auditeurs. Chez Dire Straits, le feeling est toujours là, présent dans chaque note, dans chaque soupir. La guitare respire et semble vivre sa propre vie. C'est comme une sorte d'entité. Cette musique relève parfois de la magie. Mark Knopler est passé maître à ce jeu-là. C'est bien simple, on n'avait pas entendu un tel guitariste depuis l'époque des Jimi Hendrix, Eric Clapton, Jimmy Page. Comme le disait George Harrison : "While My Guitar Gently Weeps", et le morceau des Beatles pouvait sembler prémonitoire… Je ne sais pas ce que le Quiet Beatle pensait de Mark Knopfler, mais, à mon avis, il devait l'apprécier à sa juste valeur…   En 1978, Mark avait alors 29 ans.

 

Sur "Water of Love" la solitude est comparée à un désert où l'on meurt de soif. La métaphore est filée, avec l'image du vautour : "Il y a un oiseau tout en haut d'un arbre, / Il attend que je meure."

 

Dans "Setting Me  Up" la femme est une manipulatrice, - une image très répandue dans le blues et dans le rock, où les songwriters sont soit méfiants, soit misogynes.

 

 

1979

 

Sur Communiqué, en juin 1979, "Lady Writer" oppose deux personnages, une femme-écrivain, vue à la télé, et la femme qu'aime l'énonciateur.  L'une est une érudite ; l'autre, une illettrée, elle sait à peine écrire son nom ("You couldn't hardly write your name"). L'énonciateur évoque aussi son propre dépucelage, mais en termes choisis, ce qu'il appelle la perte de l'innocence : "And I recall my fall from grace". Cette initiation sexuelle a eu lieu il y a bien longtemps. Les circonstances en restent floues, l'évocation plus que sommaire ("Another time, another place") mais ce rappel s'impose à l'esprit, obsédant : ces vers constituent le refrain de cette chanson si prenante. Dans "Lady Writer", Knopfler s'affirme comme un auteur de choix et découvre une dimension qui manquait peut-être au génial "Sultans Of Swing" : l'écriture, le songwriting. Qu'on le veuille ou non, le texte de la "Femme-écrivain" a quelque chose de dylanien avec ses ambiguïtés, ces deux femmes que tout oppose, que l'énonciateur aime autant l'une que l'autre, un sacré dilemme pour lui. Là encore la guitare s'emballe comme un pur-sang, et cela ravit. Et puis il y a ce phrasé dylanien que l'on a souvent remarqué. En 1979, Mark va fêter son trentième anniversaire.

 

"Once Upon A Time In The West" ne parle pas des cowboys comme son titre pourrait le faire croire, mais des chauffards, des fous du volant. Certains s'amusent à dépasser la limite de vitesse, à faire les cons, à effrayer les passants…

 

 

1980

 

Sur Making Movies, en 1980,  "Tunnel Of Love" présente la vie comme une fête foraine qui nous ballotte dans tous les sens, - une conception un peu baroque de l'existence. "J'ai voyagé dans un train fantôme dont les wagons hurlent et s'entrechoquent" ("And I've been riding on a ghost train"). L'énonciateur se dit "victime de la nuit", tout comme celle qu'il aime. Le narrateur est un joueur invétéré, semble-t-il, esclave du "bandit manchot". Une machine à sous ornera la pochette d'un CD solo, vingt-quatre ans plus tard…

 

Quant à "Romeo And Juliet", sur le même album, c'est une relecture un peu fade de la pièce de Shakespeare.

 

 

1982

 

Sur Love Over Gold, en septembre 1982, "Private Investigations", "Enquêtes privées", met en scène un détective qui remue la saleté, les affaires les plus glauques ("digging up the dirt"). C'est pour lui un travail, mais c'est aussi un jeu.

 

"Telegraph Road" nous montre comment un paysage s'urbanise peu à peu, jusqu'à en devenir totalement méconnaissable. "Puis vinrent les églises, ensuite les écoles, / Puis arrivèrent les magistrats ainsi que les lois, / Les trains, les camions de marchandises, / Et le vieux sentier fangeux devint la Route du Télégraphe ("And the dirty old track was the Telegraph Road").

 

 

1983

 

Sur un EP, en 1983, Il y a "Twistin' By The Pool" – Les membres de Dire Straits ont voulu réhabiliter cette danse, mais cela a été en vain, son heure était passée. Dans le clip, des figurants twistent sur un plongeoir. On assiste à une sorte de ballet aquatique, au premier ou au second degré.

 

Sur Infidels de Bob Dylan, toujours en 1983, il y a « Sweetheart Like You », avec Mark Knopfler, cette fois derrière les consoles. Dylan avait été charmé par le son de "Sultans Of Swing". Cela lui avait rappelé sa bonne période (1965 -1966). "Sweeheart Like You" c'est une de ses meilleures chansons de l’époque. "Enfin le stress est retombé, / Le patron n'est pas là,  / Il est parti dans le Nord pour quelque temps, / On dit que c'est avant tout un vaniteux (…) Mais qu'est-ce qu'une belle fille comme toi fait dans ce trou à rat ?"

Mark Knopfler a été l'un des meilleurs producteurs de Dylan, toutes époques confondues, avec Don Devito (« Changing of the Guards ») et Daniel Lanois. On lui doit « Jokerman »  et le magnifique « Sweet Heart Like You », où le grand Mick Taylor joue avec tout son feeling et sa fluidité légendaire. Et puis cet orgue qui rampe à l’arrière-plan, c’est génial… C’est peut-être digne de Blonde On Blonde. Mark avait alors 34 ans, et Bob, 42.

 

C'était encore Mark Knopfler qui avait remis Dylan en selle ou plutôt sur les rails, quelques années auparavant, sur l'album Slow Train Coming. Un « son » caractérisé par ce qu'on pourrait appeler la ligne claire, comme on dit dans la BD, pour lui donner un équivalent graphique. Une guitare nette, limpide et fluide, servant fort bien la sobriété du chant, tout en en atténuant l'éventuelle sécheresse.

 

 

1985

 

Sur Brothers In Arms, en mai 1985, "Money For Nothing" se moque des musiciens qui choisissent la facilité, qui gâchent et galvaudent leur talent en faisant de la variété, des choses faciles, parfois insipides. Ils cartonnent dans les hits parades ou dans les Top 50, mais ce sont des faiseurs. John Lennon avait déjà dénoncé ce genre de travers sur l'album Imagine, ces gens qui confondaient la "musak" et la musique : Lennon ne comprenait pas comment ils arrivaient à dormir, comment ils faisaient pour ne pas se culpabiliser. "How Do You Sleep ?" On se souvient qu'il s'en était pris à ce pauvre McCartney, à une époque où leurs rapports n'étaient pas des meilleurs.

 

 

 

1991

 

Sur On Every Street, en 1991, un album que beaucoup jugent décevant, "Calling Elvis" se détache du lot. C'est un hommage au King, multipliant les références, les citations. L'énonciateur demeure à l'hôtel des cœurs brisés (pas besoin de vous faire un dessin). "Oh love me tender, don't be cruel, / Return to sender, treat me like a fool". A la fois un hommage et un clin d'oeil. Mark vient d'avoir 42 ans.

 

 

Le groupe s'est séparé en 1993. Mark Knopfler a poursuivi une riche carrière solo, dont on ne parle pas assez.

 

Carrière solo

 

1990

Chet Atkins et Mark Knopfler enregistrent Neck And Neck.

Chet Atkins, ce n'est pas n'importe qui. C'est un grand guitariste, une sorte de père spirituel, de modèle ou de mentor pour Mark Knopfler.

"Just One Time" est une chanson d'amour perdu (comme il y en a tant). Le narrateur voudrait revenir en arrière ("Turn back the pages") et retrouver son vieil amour, "that same old love".

Les paroles de "The Next Time I'm In Town" ("La prochaine fois que je serai en ville") évoquent de vieux succès de Simon & Garfunkel. Quand on entend "Cross the Bridge of Time and Change / Once again I'm homeward bound", "A travers le Pont du Temps et du Changement, à nouveau je rentre à la maison", comment ne pas penser à "Bridge Over Troubled Water" (1970) et à "Homeward Bound" (sur Parsley, Sage, Rosemary And Thyme, en 1966), deux succès du célèbre duo ? Encore un clin d'œil et un hommage à d'autres musiciens et chanteurs.

Atkins et Knopfler interprètent également "Tears", un classique du jazz manouche, signé Stéphane Grappelli et Django Reinhardt.

 

1996

L'énigme de "Napoleon in rags"

Sur Golden Heart, en 1996, il y a "Done With Bonaparte", dont le texte est magnifique et marquant. C'est un soldat de la Grande Armée qui s'exprime. Il est vêtu de guenilles et a perdu ses illusions. On songe bien sûr à Victor Hugo : "Hier la Grande Armée et maintenant troupeau." Le narrateur de "Done With Bonaparte" rappelle certains épisodes de la Retraite de Russie : "We've paid in hell since Moscow burned" ("Nous avons vécu l'enfer depuis l'incendie de Moscou"). Les soldats ennemis s'acharnent sur les survivants qui tentent de regagner leur pays, leur patrie : "Les cosaques nous mettent en pièces". Les soldats français ne peuvent même pas enterrer les cadavres de leurs compagnons : "Our dead are strewn a hundred leagues" ("Nos morts sont éparpillés sur une centaine de lieues"). La Grande Armée n'est plus qu'un bande de gueux : "And our grande army is dressed in rags" ("Et notre Grande Armée est vêtue de haillons").

Mark Knopfler ne connaît vraisemblablement pas "L'Expiation" de Victor Hugo, l'un des sommets des Châtiments (1856) où la Retraite de Russie est évoquée d'une façon si pathétique. En revanche, il connaît Dylan, il s'en est nourri, il a travaillé avec lui. Mark Knopfler a en tête la fameuse périphrase de "Like a Rolling Stone" (1965)  désignant superbement un clochard qui n'a rien perdu de son prestige ni de sa dignité : "Napoleon in rags". Dylan se moque, avec âpreté et amertume, d'une fille méprisante, à présent tombée dans le ruisseau : "You used to be so amused / At  Napoleon in rags and the language that he used, / Go to him now, he calls you, you can't refuse, / When you ain't got nothing, you got nothing to lose". Soit : "Tu avais l'habitude de te moquer / Du Napoléon en haillons et de sa façon de parler, / Va vers lui maintenant, il t'appelle, tu ne peux pas refuser, / Quand on n'a plus rien, on n'a plus rien à perdre"). La mystérieuse périphrase de Dylan ("Napoleon in rags") vient certainement des paraphrases anglaises et américaines du poème de Victor Hugo, ou tout simplement de certaines traductions des Châtiments, que Dylan a pu connaître.

Le narrateur de "Done With Bonaparte" continue la série de ses malheurs et de son odyssée au déclin du Premier Empire : les grognards vaincus sont obligés de voler "comme des rats" les autres soldats pour pouvoir survivre : "Like rats we steal each other's scraps". Bonaparte n'était qu'un marchand d'illusions, il aurait pu emmener ses soldats au bout du monde. On a eu tort de le suivre : "What dreams he made for us to dream, / Spanish skies, Egyptian sands", "Quels rêves il nous a donnés, les cieux d'Espagne, les sables d'Egypte". Le narrateur n'est pas revenu indemne de toutes ces péripéties, de toutes ces campagnes, de toutes ces batailles : "And I lost an eye at Austerlitz", "Et j'ai perdu un œil à Austerlitz". Sa blessure - un sale coup de sabre - le fait toujours souffrir : "The sabre slash yet gives me pain." Pour lui maintenant, la page est définitivement tournée : "Done with Bonaparte", "J'en ai fini avec Bonaparte." Tout ce qu'il est espère, c'est revenir indemne : "A safe return to my belle France". C'est une prière, un hymne pacifiste plus qu'une chanson d'ancien combattant : le narrateur prie pour que son fils ne voie jamais un nouveau petit caporal se dresser au-dessus de la mêlée pour conquérir de nouvelles terres : "And I pray our child will never see / A little Corporal again / Point toward a foreign shore / Captivate the hearts of men." Bref, la Grande Armée est, pourrait-on dire, in dire straits, dans une situation désastreuse, en pleine débâcle. C'est carrément la Bérézina !

 

2000

"Sailing To Philadelphia" (avec James Taylor), c'est le portrait d'un rêveur : "Il semble que je sois né pour dresser une carte du ciel nocturne". C'est aussi une chanson d'émigrés : "Nous naviguons vers Philadelphia, un monde loin de la Tyne charbonneuse" ("A world away from the coaly Tyne"). La Tyne, c'est un fleuve qui passe à Newcastle et se jette dans la Mer du Nord. Mark Knopfler, on l'a vu, est d'origine écossaise, il est né à Glasgow, mais il a passé son enfance à Newcastle, une ville pas très gaie du Nord de l'Angleterre. - Newcastle, comme Sting.

 

2002

Sur l'album Ragpicker's Dream, "Fare Thee Well Northumberland" reprend et développe le thème nostalgique amorcé sur "Sailing To Philadelphia" : Mark Knopfler dans son "Adieu au Northumberland" évoque la région où il a passé son enfance et sa jeunesse : "Mon cœur bat pour les rues et les sentiers, / Et rêve de rester près de la frontière, / La côte nord-est et les vallées de la rivière".  Il déteste quitter la Tyne qui arrose Newcastle, c'est sa rivière ("I hate to leave my river Tyne"). Toutes les autres villes, Philadelphie, Londres ou New York, lui font l'effet de ces villes maudites dont on parle dans la Bible, Sodome ou Gomorrhe, sur lesquelles Jehovah a envoyé une pluie de feu : " I hate to leave my rive Thyne / For some damn town that's God-forsaken", "quelque ville maudite que Dieu a délaissée". Le chanteur semble également maudire les tournées qui l'envoient loin de chez lui : "I'm bound to ramble and to roam", il se voit comme un errant, une sorte de vagabond. Peut-être une pierre qui roule ?...

"Coyote" est une chanson de fugitif. Le narrateur est poursuivi par un "coyote" qui va bien moins vite que lui. Il s'agit aussi d'une chanson référentielle, avec des fragments de phrases qui renvoient soit au Traffic de Steve Winwood ("a hole in my shoe", "un trou dans ma chaussure") soit à Dylan ("blood on the tracks", "du sang sur les pistes").

 

2004

Sur Shangri-La, "Postcards From Paraguay" est encore une chanson de fugitif mais le contexte est différent : le narrateur a émis des chèques en bois, fait un "casse". Il a dû fuir son pays pour échapper aux conséquences. C’est pourquoi il n'enverra pas de cartes postales d'Amérique du Sud, où il s'est réfugié. Pas question que l'on retrouve sa trace

 

2006

Sur "This Is Us" (album All The Roadrunning), un couple regarde de vieilles photos et se rappelle les bons souvenirs liés à ces anciens clichés, le premier rendez-vous, le voyage de noces, leur petit garçon qui fait leur "joie" et leur "fierté", l'anniversaire du mariage avec tous leurs amis : "C'est nous lors du Mardi Gras, / C'est nous dans la caisse de ton papa", "C'est nous pendant notre Lune de Miel, / dans la chambre de l'hôtel, / Assis près du Puits aux Souhaits". Mark Knopfler y confirme son penchant nostalgique, voire passéiste. Les années ont passé, le guitariste a déjà 57 ans quand il enregistre cette chanson en duo avec Emmylou Harris. Ce n'est plus vraiment un tout jeune homme.

Sur cet album, Mark Knopfler interprète d'autres titres avec la chanteuse country, "Right Now" et "This Is Goodbye".

 

2009

Sur "Border Reiver" (album Get Lucky), le chanteur se met dans la peau d'un conducteur de poids lourd, un Ecossais de Glasgow. Il évoque sa vie à bord d'un engin qui n'est plus tout jeune. Le camion a bien trois cent mille km au compteur et encore plein d'autres à faire ("Three hundred thousand on the clock / And plenty more to go")

 

2012

"Haul Away" (album Privateering) est une chanson sinistre qui évoque le suicide d'une femme : elle s'est noyée. C'était quelqu'un d'instable, de déséquilibré. Elle s'est jetée dans la mer "noire et profonde". Ce n'est pas un accident, le vent ne soufflait pas ce soir-là, elle n'a pas pu tomber du navire par inadvertance, "It was a windless night when you leave the ship", "C'était une nuit sans vent quand tu as quitté le bateau". On est loin de la "deep blue sea" des chansons traditionnelles. Sur "Haul Away" les paroles lugubres vous glacent vous plombent un peu, comme cet ancien titre des Rolling Stones : "Sympathy For The Devil". Rien que le titre faisaitt froid dans le dos…

 

Mais, pour en revenir aux grandes chansons de Dire Straits, j'ai gardé le meilleur pour la fin : pour moi, la plus prestigieuse, c'est "Brothers In Arms", dont on ne dira jamais assez de bien. C'est une de mes chansons préférées, avec "Big Log" de Robert Plant et quelques-unes de Dylan, des Stones, des Kinks et, bien sûr, des Beatles. Les paroles des "Frères d'Armes" évoquent justement à la fois Led Zeppelin et Bob Dylan, avec ses "montagnes couvertes de brumes" et ses "basses terres". Il est question de militaires, enfin de conscrits, pas des militaires de carrière, puisqu'on nous dit qu'un jour ils retourneront dans leurs vallées et dans leurs fermes et qu'ils ne seront plus frères d'armes. C'est une très belle chanson de fraternité, de solidarité, mais aussi d'incommunicabilité : "Il y a tellement de mondes différents, / Tant de soleils divers, / Et nous n'avons qu'une seule planète, / Mais nous vivons dans des mondes séparés." On dit que Mark Knopfler est un grand guitariste, c'est la vérité, qui oserait le contester ? Mais c'est aussi un grand chanteur, dont la voix fait passer bien des émotions, bien des sentiments, bien des frissons. "Brothers In Arms" est une chanson pacifiste pleine de sagesse, peut-être un peu baba cool mais au sens noble du terme : "Tous les hommes doivent mourir, / Mais il est écrit dans les étoiles / Et dans chaque ligne de ta main / Que nous sommes fous de faire la guerre / A nos frères d'armes". On croit comprendre qu'il s'agit de nos anciens frères d'armes, de ceux qui ont combattu autrefois avec nous. Il y a tellement de feeling dans cette chanson que c'est peut-être l'un des plus grands blues du XXème siècle. Moi je veux bien qu'on appelle la musique de Dire Straits du "pub rock" ou je ne sais quoi, vous savez, les étiquettes, pfftt…quelle dérision. N'empêche que, quand on me demande quel est mon bluesman préféré, je ne réponds ni John Mayall, ni Jimmy Page, ni Untel, je réponds : Mark Knopfler. C'est l'évidence même.

 

Discographie de Dire Straits

 

Dire Straits (1978)

Une photo floue sur la pochette.

Titres : Down To The Waterline - Water Of Love - Setting Me Up - Six Blade Knife - Southbound Again - Sultans of Swing - In The Gallery - Wild West End - Lions.

Musiciens : Mark Knopfler au chant et aux guitares ; David Knopfler, à la guitare rythmique ; John Illsley, à la basse ; Pick Withers, aux percussions.

 

Communiqué (1979)

 


 

Musiciens : les mêmes que sur le premier album.

 

 

Making Movies (1981)

Une pochette entièrement rouge

 


Musiciens crédités : Mark Knopfler : chant, guitares ; John Illsley : basse et chant; Pick Withers : batterie ; Roy Bittan: claviers. Exit David Knopfler qui aurait pourtant participé à l'enregistrement.

 

Love Over Gold (1982)

Un éclair zébrant un ciel d'orage, sur la pochette.

 


 

Musiciens :Mark Knopfler ; Hal Lindes : guitare ; Alan Clark : claviers ; John Illsley : basse ; Pick Withers : percussions ; Mike Mainieri : vibraphone ; Ed Walsh :  synthés.

 

 

ExtendedancEPlay (1983)

Titres : Twisting by the Pool - Two Young Lovers - If I Had You - Badges, Posters, Stickers, T-Shirts.

 

Alchemy (un double album live)

Des versions à rallonge de leurs titres les plus célèbres.

Au programme : Once Upon a Time in the West - Expresso Love - Romeo and Juliet - Love Over Gold - Private Investigations - Sultans of Swing - Two Young Lovers - Tunnel of Love - Telegraph Road  - Solid Rock - Going Home - Theme from "Local Hero" (voir la discographie solo de Mark, un peu plus bas).

 

Brothers in Arms (1985)

Sur la pochette, une steel guitar, prise en contre-plongée.

 


 

Musiciens : Mark Knopfler . John Illsley ; Alan Clark (divers claviers) ; Guy Fletcher (autres claviers) ; Terry Williams (percussions). Sans oublier Sting au chant, sur "Money For Nothing".

 

On Every Street (début 1991)

 


 

Musiciens : pratiquement les mêmes, sauf le batteur (Danny Cummings).

 

Live at the BBC (1995)

 

Down to the Waterline - Six Blade Knife - Water of Love - Wild West End - Sultans of Swing - Lions - What's the Matter Baby? -  Tunnel of Love

 

La carrière solo de Mark Knopfler : la discographie.

Local Hero (1983)

B.O. du film du même nom (et non pas "éponyme", comme diraient les cuistres).

The Rocks and the Water - Wild Theme - Freeway Flyer - Boomtown - The Way It Always Starts - The Rocks and the Thunder - The Ceilidh and the Northern Lights - The Mist Covered Mountains - The Ceilidh: Louis' Favourite / Billy's Tune - Whistle Theme - Smooching - Stargazer - Going Home: Theme of the Local Hero.

 

Notting Hillbillies. Missing… Presuming having a good time (1990)

Un album sur lequel on trouve des compositions originales mais aussi pas mal de reprises de vieilles chansons d'autrefois.

Railroad Worksong" (traditionnel) –  Bewildered - Your Own Sweet Way - Run Me Down" (traditionnel) - One Way Gal" (encore un traditionnel) - Blues Stay Away From Me - Will You Miss Me- Please Baby (traditionnel) – Weapon of Prayer - That's Where I Belong - Feel Like Going Home.

 

Neck And Neck (1990)

Avec Chet Atkins.

Poor Boy blues - Sweet Dreams - There'll Be Some Changes - Just One Time  - So Soft, Your Goodbye– Yakety Axe - Tears - Tahitian Skies - I'll See You in My Dreams - The Next Time I'm in Town.

 

Screenplaying (compilation, 1993)

 

Golden Heart (début 1996)

Darling Pretty - Imelda - Golden Heart No Can Do - Vic and Ray -  Don't You Get It A Night in Summer Long Ago – Cannibals - I'm the Fool – Je Suis Désolé -  Rüdiger - Nobody's Got the Gun -  Done With Bonaparte - Are We in Trouble Now

 

 

Lullabies With a Difference (fin 1998)

Truthful Lullaby - Dreaming My Dreams -  Window World - Willow -  Etude No. 53 - My Boy -  Baby Little One - In Your Eyes - Wild Theme -  Cherry Blossom -  Let's Stay Together

 

Sailing to Philadelphia (début 2000)

La pochette représente un avion volant dans un ciel très bleu. L'avion n'est pas centré.

Cet album se décline en plusieurs versions. En voici l'américaine :

 

What It Is - Sailing to Phildelphia - Who's Your Baby Now -  Baloney Again - The Last Laugh -  Do America - El Macho - Prairie Wedding - Wanderlust – Speedway At Nazareth - Junkie Doll -  Silvertone Blues - Sands of Nevada.

 

 

The Ragpicker's Dream  (début 2002)

 

Why Aye Man - Devil Baby -  Hill Farmer's Blues - A Place Where We Used to Live - Quality Shoe - Fare Thee Well Northumberland - Marbletown - You Don't Know You're Born - Coyote -  The Ragpicker's Dream - Daddy's Gone to Knoxville -  Old Pigweed

 

Shangri-La (2004)

La pochette représente un "bandit manchot"

5:15 am -  Boom, Like That - Sucker Row - The Trawlerman's Song - Back to Tupelo - Our Shanri-La -  Everybody Pays - Song for Sonny Liston - Whoop De Doo – Postcards From Paraguay - All That Matters Stand Up Gay - Donegan's Gone -  Don't Crash the Ambulance -  What It Is El Macho

 

All the Roadrunning (2006)

En duo avec Emmylou Harris.


 

Real Live Roadrunning (live de 2006)

Right Now - Red Staggerwing - Red Dirt Girl -  Done With Bonaparte -  Romeo and Juliet -  All That Matters - This Is Us -  All the Roadrunning -  Boulder to Birmingham -  Speedway at Nazareth -  So Far Away -  Our Shangri-La -  If This Is Goodbye - Why Worry.

 

Kill To Get Crimson (2007)

 


 

Get Lucky (2009)

 


 

Privateering (2012)

CD 1. Redbud Tree - Haul Away - Don't Forget Your Hat - Privateering - Miss You Blues - Corned Beef City - Go, Love - Hot or What - Yon Two Crows - Seattle 4:17

CD2. Kingdom of Gold - Got To Have Something - Radio City Serenade - I Used to Could -Gator Blood - Bluebird - Dream of the Drowned Submariner - Blood and Water - Today Is Okay - After the Beanstalk