samedi 18 juillet 2015

La Cabale du Syd


La Cabale du Syd

Route de nuit

C'était Rick qui conduisait. Un minibus. Dans la nuit épaisse. June faisait ce qu'elle pouvait pour le guider, avec sa petite lampe de poche, et cette carte qui n'était pas à jour.

L'autoroute n'était pas finie. Il avait fallu emprunter de mauvaises routes. On allait rouler toute la nuit.

Rick était assez en forme pour tenir le volant. June était bien éveillée. Le concert s'était bien passé, c'était déjà ça.

Nick, silencieux comme d'habitude, n'ouvrait pas la bouche. Roger non plus, hautain et taciturne, ou c'était pour sortir des formules lapidaires, des remarques désobligeantes, vaguement sentencieuses, condescendantes.

« Cent livres à partager à six… Plus les frais d'essence. Pff… Et si, en plus, vous vous gourez de route...  »

Syd avait fini par s'endormir, après être resté les yeux ouverts, halluciné, tout un moment.

Syd Barrett est décédé le 9 juillet 2006. Il avait inventé une certaine forme de poésie psychédélique, la poésie SF. On se souviendra longtemps des chansons du Piper At The Gates Of Dawn, de « Scarecrow », de « See Emily Play », d'« Astronomy Domine », d'« Arnold Layne », de « Terrapin »... On disait que depuis plus de trente ans Barrett peignait et jardinait d’une façon obsessionnelle, quasi compulsive. « Has lived in seclusion in Cambridge since the early ‘70s, obsessively painting and gardening. » (Uncut). Retiré du monde.

Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Au début des années 70, il nous avait livré deux superbes albums, inégaux mais magnifiques. Syd Barrett, cela pourra sembler mineur à certains. Il s’agit pourtant d’une nappe phréatique des plus profondes. « Wandering and Dreaming », c’est l’ancien titre de « Matilda Mother ». On songe à Moesta et Errabunda (triste et errante), titre d’un poème des Fleurs du Mal. Errant et Rêvant, ça lui convient bien, à lui aussi. Mais ne cherchez pas dans ce chapitre les sempiternelles anecdotes qui traînent partout sur sa claustrophobie, ses abus, ses errances londoniennes, ses comportements délirants... Ce n’est pas mon propos. D’autres les ont racontées mille fois, les ont tellement ressassées que je n’ai pas voulu à mon tour m’y complaire. Moi je le respecte. J’ai juste voulu lui rendre hommage, car je l’aimais vraiment ! Une influence majeure.

Images véhiculées par la presse rock : le Mythe du Syd

Michka Assayas l’appelle « le grand visionnaire du rock », mais il doit confondre avec Bob Dylan. « Le mysterioso intégral, la plus grande interrogation du rock anglais » (Erick Weber), « ce dégénéré sublime » (idem) ; « Zombie définitivement grandiose » dit de lui Patrick Eudeline, (mais là, avec cet oxymore, on a peut-être affaire à une sorte d’autoportrait sublimé ?). Nick Kent en 1993 l'appelle « l'elfe lysergique » (Inrockuptibles) mais n'est-ce pas applicable également à Marc Bolan, voire à Donovan ? On a même eu droit à l'image romantique du Christ : « C'était bien lui ce fou, cet insensé sublime » (Nerval, Les Chimères, 1855). D'ailleurs, « insensé sublime » pour qualifier S.B. revient souvent sous la plume des journalistes. Cette imagerie s'est propagée en Angleterre aussi bien qu'en France dans des revues telles que New Musical Express, Melody Maker, Best, Rock&Folk... Mais de là à faire de Barrett un Christ psyché, un Christ du Summer of Love : pas question. Christophe Conte écrivait ironiquement dans les Inrockuptibles en 2001 que Syd était « la créature mystérieuse la plus traquée et fantasmée des îles britanniques depuis le monstre du Loch Ness ». Bien vu. Il y a un mythe Syd Barrett dans l'univers rock, comme il y a des mythes Morrison, Presley, Ian Curtis, Syd Vicious, Brian Jones, Hendrix. C'est évident. Une aura mythique se forme vite autour des gens morts ou disparus. Syd appartient à la deuxième catégorie. On dit qu'il a sombré dans la folie, dans la « schizophrénie », qu'il ne veut plus parler à personne (surtout pas aux journalistes !). On a subi les clichés d'époque : Syd Barrett « rongé par l'acide » écrivait Patrick Eudeline dans Best, lors de la réédition des deux premiers albums solo au milieu des années 70. Comme les ferrures par la rouille ? Puis on a eu droit au « diamant fou », à l’hommage tardif de Waters (1976).

Brille, toi, espèce de diamant fou

Souviens-toi quand tu étais jeune

Brillant comme le soleil

Maintenant tu as un regard

Comme un trou noir dans le ciel

(Roger Waters, « Shine On, You Crazy Diamond »)

Mais lui-même, l’artisan du « Mur », n’est-il pas un peu un caillou parano ? Inconsciemment, dès 67, Barrett se méfiait peut-être de son bassiste, qui devait finalement l'évincer du groupe : « The icy waters underground »... »

Comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle image désastreuse circula vers 2004 sur le Net : le reclus de Cambridge, avec sa calvitie, son crâne rasé, son visage empâté, son relatif embonpoint de sexagénaire, ressemblait à Aleister Crowley, l’horrible mage noir…Non, Syd Barrett n'est ni le Rimbaud du rock ni l'Ange Déchu du psychédélisme (ni autres âneries). Syd Barrett est Syd Barrettt, c'est déjà pas mal. Il a écrit des chansons poétiques. Place aux exégètes. A eux d’examiner ses textes incandescents ou verdoyants, bucoliques. Il était déjà mythique de son vivant. Qu’en sera-t-il, maintenant qu’il est mort ?
LA SUITE FIGURE SUR OLD WAVE COLD WAVE, MON BOUQUIN AU CAMION BLANC

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